mardi 11 octobre 2011

Sur l'élection primaire et sur la fin du PS


  J'entends aujourd'hui attirer l'attention sur un nouveau phénomène importé dans la vie politique française : l'élection primaire. Organisée par un parti pour ouvrir à tous les citoyens volontaires le droit, traditionnellement réservé aux encartés, de nommer le candidat à l'élection présidentielle. À première vue, laisser le choix du candidat aux électeurs semble être une mesure particulièrement démocratique. C'est du moins une bouffée d'air, dans un pays où le transfert du pouvoir par le peuple et le contrôle exercé par celui-ci se résume à un double scrutin tous les cinq ans, sur des questions de personne autant que de conjoncture. Encore que ce ne sera pas l'usage d'un moment : la droite entend déjà, lorsqu'elle aborde le sujet de l'après-Sarkozy, régler ses conflits de la même manière.
--------- LA GAUCHE A DÉJA GAGNÉ SANS PRIMAIRES ---------
   Mais si les primaires sont une amélioration de la vie démocratique, pourquoi n'y a-t-on pas pensé avant ? Serait-ce pour de basses raisons ? Avant, lorsque PS et RPR, UDF et PCF, choisissaient chacun leurs candidats, le défaut majeur de la démocratie française résidait-il dans la nomination en interne de ses acteurs majeurs ? Une fois prise l'habitude des primaires, les défauts que l'on prête au système seront-ils résolus ?

   Car quelles sont ces tares que l'on prête tous, au moins de l'extrême-gauche au centre, à notre régime ? Sa tendance à la personnalisation plutôt qu'au conflit d'idées ; la concentration du pouvoir, quitte à des dérives ; une faible responsabilité politique ; un manque de débats (au sens de conflits dialectiques) qui pourraient aboutir soit à la victoire d'une idée soit à un compromis entre plusieurs ; plus généralement la pénurie d'idées-forces. Pourquoi de tels problèmes ?

    L'évolution des médias est une chose : par exemple, les hiérarchies traditionnelles sont brisées depuis longtemps et le politicien, l'administrateur, ne peuvent passer pour tels, mais pour l'administré ; surtout, les messages médiatiques ressemblent à du bruit probablement parce que l'idéologie dominante ne permet pas de les comprendre.


--------- LES RÈGLES IMPLICITES DE LA PRÉSIDENTIELLE ---------
    Mais plus fondamentalement, les questions de personnes plutôt que d'idées sont une décadence des principes de la Ve République. Comment fonctionnait-elle ? Si elle était "au-dessus des partis", elle s'est en fait stabilisée autour des partis-présidentiels après l'élection législative de 1962 qui donne carte blanche au parti de De Gaulle. On a ainsi eu : UNR par et pour De Gaulle, UDR par et pour Pompidou, RI par et pour Giscard, PS pour Mitterrand, RPR par et pour Chirac, UMP pour Sarkozy, avec quelques grands partis qui n'ont su se plier aux règles du jeu, PCF et FN, ainsi que UDF peut-être à cause de Giscard. En bref, le système fonctionne, depuis 1962, autour de partis qui permettent
  1. d'unir un camp autour d'un candidat à la présidentielle, d'où découle une certaine cohérence du programme née des décisions du chef aidé de son conseil
  2. de soutenir cette personne de sorte à lui donner une aura gaulienne, à faire oublier ses tares
  3. d'envoyer ce camp dans l'opposition ou la majorité parlementaire, ainsi que dans les conseils généraux, jusqu'à ce qu'un autre parti prenne la place, ce qui typiquement dure une trentaine d'années
   Ce système trouva son équilibre entre la première élection directe (1965) et la poussée des centristes face aux gaullistes (1973, 1974). Le tableau reste pertinent jusqu'à aujourd'hui, à une exception près, et pas des moindres : la gauche.


--------- POURQUOI UN SEUL PRÉSIDENT DE GAUCHE ? ---------

   En effet, parmi les six présidents élus au suffrage universel, seul un fut de gauche. Si de tous les partis-présidentiels de droite il n'en reste plus qu'un, celui de l'actuel président… à gauche, le PS, parti-présidentiel de Mitterrand, est toujours là, 42 ans après sa fondation en 1969, 23 ans après la dernière élection de Mitterrand. Encore une fois, pourquoi ? Est-ce normal ?
Fondation du RPR eurosceptique
sur les ruines de l'UDR, 1976
À première vue, oui, il semble plus facile, pour un conservateur, un gaulliste ou un libéral, bref, un homme politique de droite, de feindre l'opposition et le compromis sans manquer de trouver son électorat. Alors qu'historiquement, il y a ou bien le socialisme démocratique, ou bien le socialisme soviétique, condamné avec la présidentialisation. Giscard s'est opposé à droite aux gaullistes, Chirac aux giscardiens et Sarkozy aux chiraquiens (mais grâce au parti unique, ce fut plus simple). Par contre, si Mitterrand et d'autres ont contre la SFIO (de laquelle ils n'appartenaient parfois même pas) fondé le parti socialiste de la Ve République, il n'y a a eu personne pour s'opposer ensuite au PS. Or c'est le mouvement recherché. Enfin… si, énormément d'oppositions, mais jamais dans le même sens, jamais assez fortes, jamais dans le sens voulu par les institutions. Les oppositions furent externes et internes.

--------- DES LUTTES INFRUCTUEUSES ---------
Précisions : la lutte est merveilleuse. Mais elle doit se faire dans les règles du parti-présidentiel.
     1 - Les oppositions externes. Le paysage politique a radicalement changé : les classes ouvrières rouges ont souvent viré xénophobe, et du coup, par balancier, la gauche de nos jours inclut une partie du centre d'alors : les Radicaux de gauche sont ainsi réapparus comme pendant au Parti Radical à droite. À côté de cela, les écologistes ont pragmatiquement choisi la gauche au tournant de 1995. Face au PS europhile, les souverainistes (Chevènement) sont apparus. Et les communistes sont restés de vrais communistes, donc peu nombreux. Sans parler de l'extrême-gauche qui connaît un succès compréhensible en ces temps de crise du capitalisme, socialement du moins. Bref, dans cette myriade de petits partis, aucun n'est capable de s'adapter au règles du jeu présidentiel, qui est le pilier du régime. Aucun ne peut espérer rivaliser face au PS, le remettre en cause, et ce, même aux élections locales ! Sauf dans les rares élections à la proportionnelle (européennes et régionales, jusqu'en 2010). Par la logique électorale donc, peu compétitive à moins d'un nouveau parti-présidentiel, le PS est condamné à exister quel que soit la portée de son programme.
    À y regarder de plus près donc, les communistes étant maintenant peu nombreux en plus d'être non-présidentiables, il n'y a pas de raison de croire que la gauche ne pourrait pas être aussi sauvagement conflictuelle que l'est la droite, et être le terrain de jeu de nombreux partis-présidentiels… si ce n'est par amour de la démocratie et du débat contradictoire, au sein de règles établies.
      2 - Les oppositions internes. C'est d'ailleurs là que se trouve la grande différence : à gauche, on préfère des conflits résolus par des règles démocratiques, aux guerres entre barbouzes, meurtrières s'il en est (cf. 1995 et l'attentat de Karachi, vous pouvez m'aider à compléter…). C'est là aussi la situation de nos jours à gauche : les conflits ne sont pas seulement en dehors du PS, ils sont en son sein, à tel point que c'est devenu une ritournelle des médias. De nos jours, cette espérance en la démocratie interne finit par s'opposer aux règles du jeu des institutions, qui veulent des conflits de chefs. Mais un coup d'oeil sur l'histoire du PS nous permet de dire que la démocratie interne lui a profité.
La CIR (1965-71) 1er parti de Mitterrand
      Mitterrand, dans sa course à l'Élysée, a eu un intérêt à chapeauter les différentes tendances hétérogènes à gauche, nées notamment des courants post-soixante-huitards. D'où l'institutionnalisation des courants. Par méconnaissance de l'histoire du principe et de son fonctionnement concret, je ne m'étendrais pas là-dessus. Mais il n'est pas hasardeux de dire que ce conflit interne, internalisé, a permis l'assise de Mitterrand sur son parti, ainsi que le succès du parti. Il ne restait plus que le PS, en 1981, comme parti de gouvernement de gauche.
     Cependant, au vu des résultats des Congrès socialistes depuis 1990, le problème semble être que les courants, historiquement donc des faire-valoir, semblent avoir fini par croire en leur autonomie. Dans une sorte de renversement total, ce sont les factions qui permettaient à Mitterrand de régner en maître qui viennent tour à tour s'asseoir sur le trône. Et le petit royaume de princes locaux séides enchaîne les défaites annoncées.

    Les défaites, bien sûr, car un parti-présidentiel ne tient pas son succès de ce qu'il est un groupe politique, mais parce qu'il a un candidat. Un candidat qui est la force centrifuge (a) de tous les choix de plateforme, (b) du mouvement militant et (c) de la propagande politique. C'est l'habituelle chanson de l'homogénéité mais qui en démocratie multipartite ne se dément pas  ; la Ve République impose en sus qu'il y ait incarnation par une personne, mais, tout le monde sait qu'en vérité, c'est le cas de toutes les démocraties de nos jours -- même la vieille démocratie britannique s'est mise aux débats télévisés, en 2010.
    Mais pour que cette incarnation arrive à gauche, il faut pouvoir se rappeler de ce qu'elle implique en termes d'organisation.



--------- LES RÈGLES DU JEU DE NOS JOURS ---------
    Y a-t-il eu des changements dans les "règles du jeu des institutions" ? Certainement le quinquennat, d'une part, et le parti unique à droite, d'autre part. Au vu de la campagne à droite pour la réélection de Sarkozy, on peut penser que ces deux changements laissent beaucoup moins de temps aux opposants de constituer une équipe et des soutiens, et surtout aucun moyen de se tester au niveau électoral. Mais à gauche, on ne sait pas encore l'importance de ces changements. Avant tout, quinquennat et grand parti de droite sont les marques d'un déséquilibrage du jeu des partis-présidentiels.
N. Sarkozy prend l'UMP pour seulement 3 ans
    Ce que l'élection implique en tout cas en termes d'organisation, c'est plusieurs choses :
  • Il faut un chef, une force centrifuge
  • Il lui faut des soutiens de poids, qui trouvent leur place au sein de la future équipe gouvernante, mais si possible, par la grâce du chef plus que par un mécanisme automatique.
  • Des militants entendus, via des pratiques démocratiques, mais sans jamais remettre en cause l'incarnation même du programme (contestation des détails).
  • Le chef étant capable à la fois de tenir les uns et les autres, de composer le programme, et d'en être le porte-parole. 
   De manière presque logique on aboutit à quelque chose de cohérent et de fonctionnel. En outre, il faut de vrais dissidents vraiment impuissants - mais c'est peut-être trop regarder la droite que de le dire si crûment.


    Il est certain que le Parti socialiste n'est ni la seule, ni la meilleure des manière pour la gauche d'organiser sa conquête du pouvoir, dans le cadre fixé par la Ve République, même si ce cadre s'érode, est rapiécé, et finira bien, on peut l'espérer vivement, par tomber un jour.

Revenons-en aux primaires.
LES PRIMAIRES : L'EXTRÊME-ONCTION POUR LE P.S.

   2008. M. Montebourg regarde les images en provenance d'Amérique. Il y voit, après sept ans d'administration Bush, un candidat qui est tout aussi inconnu avant l'élection que lui-même en France, et qui répond au nom d'Obama. Il s'oppose à une favorite des sondages, Clinton, et s'affrontent verbalement durant des mois, État après État, pour obtenir la nomination du parti. Cette "élection primaire" place le vainqueur, au pire en seconde place, mais que la conjoncture de 2008 assurait d'une première place. L'année 2008 fut en effet la meilleure pour le Parti démocrate en plusieurs décennies. Malgré cet effet conjoncturel, il reste ébloui par la dialectique fructueuse entre les candidats, et leur réconciliation orchestrée pour les télés de main de maître.
    C'est ce principe qu'il impose (Le Monde, Comment le PS a décidé d'organiser sa primaire, 7 octobre 2011) à certains éléphants du P.S. qui ont pour seul dénominateur commun leur soutien à Martine Aubry, et en filigrane leur opposition à une prise du parti par Ségolène Royal : des gauchistes aux sociaux-libéraux. Ils sont dubitatifs mais idéologiquement trop hétéroclites pour ne pas y voir leur intérêt. Malgré les dissensions, M. Montebourg, devenu capital, finit par faire avancer le projet. Mme Aubry deviendra Première secrétaire, et le principe d'une primaire ouverte sera ensuite ratifié par les militants fin 2009.
    Les primaires ouvertes sont donc ceci : un accord en vue d'une liquidation des désaccords de manière électorale, par des éléments largement externes au parti.
   C'est de mauvaise augure. Les médias sont-ils meilleurs que les militants ?
   Entre temps, le type de scrutin, plutôt qu'une pâle copie du système étasunien des primaires, sera remplacé par un système majoritaire à deux tours.
   Or on connaît la tendance des élections à deux tours, très utilisées pour les présidentielles de par le monde, à relativiser les conflits, à ne pas représenter les différences dans leurs vraies proportions, et même à les exacerber. Une "large victoire" sera une victoire à 54 contre 46 pour 100. Nous avons l'exception Le Pen en 2002, qui est plutôt à ranger du côté des imprévus ; mais de par le monde ce mode d'élection est très utilisé et ce type de résultat est rare. D'ailleurs en 2012 les sondeurs prévoient que les électeurs relativiseront un peu plus les choses avec Le Pen fille au second tour. C'est cet effet de la "victoire dès 50%" qui pousse à relativiser. Un électeur hésitant pourra choisir de voter pour le moins favori, d'autres convaincus que leur favori gagnera ne se déplaceront même pas.
   Autre démon du deuxième tour, avec deux candidats. Devant un choix dichotomique l'électeur doit choisir entre le moindre des deux maux -- le cas 2002 est remarquable, mais 2007 aussi, il est probablement une lointaine conséquence du vote utile (deux malins ayant alors compris qu'il était possible de tout promettre pourvu qu'on était dans le bon parti). L'élection se décide alors souvent sur le second choix de quelques uns, un choix parfois très ténu, très incertain, avec de l'autre côté tout le clientélisme, les manigances, et la schizophrénie des candidats. Dans ce cas, les systèmes parlementaires sont mieux armés : au moins, ce sont les représentants des factions notables qui recherchent un accord avec la force de chacun.
   Bref, il est difficile de croire que la primaire, puisqu'elle est sérieusement contestée, aboutira à donner un vrai chef. Le "chef" étant une dénomination a posteriori, c'est-à-dire que s'il n'y a pas les ingrédients pour faire un chef, exposés plus haut, on ne voit qu'un candidat prétentieux, avec ses défauts, sa fragilité, son humanité. C'est bien plus probable, contrairement à ce que la primaire du Parti démocrate américain de 2008 a pu faire croire à Montebourg, que la primaire couronne un candidat plutôt qu'un chef.


Brouillon En France, le système remplace peu à peu le vote militant. En 2006, la primaire socialiste reste fermée aux militants, mais leurs effectifs furent élargis pour l'occasion avec des "inscriptions à 20€". Et la primaire citoyenne de 2011 se veut même une gigantesque élection non-étatique, sur dix mille bureaux de votes, qui permet le droit de vote à tous les citoyens français (ainsi que les mineurs de 16 ans) en l'échange d'un euro et d'une profession de foi.